vendredi 1 juin 2012

Les élections en Egypte

Le premier tour des élections présidentielles en Egypte a eu lieu le 25 mai dernier. Les deux candidats qui passent au deuxième tour des élections présidentielles en Egypte sont l'un membre des Frères musulmans et l'autre est soutenu par l'armée. Mohamed Morsi, le premier, a obtenu 24,3% des voix, le second, Ahmed Chafik, ancien Premier Ministre d'Hosni Moubarak, a obtenu 23,3% des voix.
Ces résultats préoccupent considérablement une partie de la population. 

Voici un article de Lucy Geffroy dans le Courrier International du 29 mai faisant état des préoccupations d'Alaa El Aswany, écrivain égyptien très connu pour ses analyses politiques.

ÉGYPTE"Si Chafik est élu, la révolution est morte"

Ecrivain égyptien parmi les plus populaires, Alaa El Aswany est aussi un commentateur avisé de la politique de son pays. Ayant suivi de près et même participé à la révolution place Tahrir en 2011, il se pose en défenseur de ses principes. Et donne dans une interview pour Courrier international son sentiment sur les résultats du premier tour de la présidentielle.
29.05.2012 | Propos recueillis par Lucie Geffroy | Courrier international
Alaa El Aswany (2007).
Alaa El Aswany (2007).
D’après les premiers résultats officiels, les deux candidats qui sortent gagnants du premier tour de l’élection présidentielle en Egypte sont Mohamed Morsi (24,3% des voix), islamiste, candidat des Frères musulmans et Ahmed Chafik (23,3%), ancien Premier ministre d’Hosni Moubarak, candidat soutenu par l’armée. Que vous inspire ce résultat ?

Dès samedi 26 mai, Hamdin Sabahi [candidat à la présidentielle, député indépendant que Alaa El Aswany a soutenu ouvertement] et Amr Moussa [également candidat, ex-ministre des Affaires étrangères de 1991 à 2001] ont accusé accusations Ahmed Chafik d'être à l'origine d'irrégularités dans le vote. Si ce n’est pas vrai, il faudra bien accepter les résultats. Si c’est vrai, la révolution les refusera. Sur mon compte twitter (suivi par 350 000 personnes), j’ai écrit que j’étais partisan d’un front des forces révolutionnaires avec les Frères musulmans pour faire barrage à Chafik. Que les choses soient claires : je ne suis absolument pas favorable aux Frères musulmans, mais un vrai révolutionnaire doit lire la situation attentivement et le retour le Chafik, protégé par le Conseil militaire, signifierait la fin de la révolution.

Avez-vous été étonné ou déçu de constater qu’un an après la révolution égyptienne, un ancien Premier ministre du gouvernement Moubarak récolte près d'un quart des suffrages ?

Je ne suis pas étonné. Les militaires ont appliqué un plan similaire à celui de la Roumanie avec Ceausescu : faire  pression sur la population (en augmentant par exemple le prix de la nourriture) et faire en sorte que la chaos s’installe. Cela fait des mois que la police ne travaille plus au Caire... Et maintenant que l’insécurité règne, on nous présente des soi-disant héros, des gens comme Ahmed Chafik qui promet de ramener l’ordre dans le pays. N’oublions pas non plus que les militaires agitent l’épouvantail islamique depuis le début de la révolution. Le plan prévoyait aussi de séparer les révolutionnaires et de les massacrer. C’est ce qui a été fait. Le plan a donc été parfaitement appliqué. Mais ça ne marchera pas, la révolution va gagner.

La révolution n'a pas échoué, selon vous ?

Non je ne crois pas. Les deux candidats représentatifs de l’ancien régime, Ahmed Chafik et Amr Moussa [ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak], ceux qu’on appelle les 'fouloul' (littéralement : les survivants de l’armée battue) ne rassemblent que 30% des voix. Cela veut dire que  70% de la population est favorable au changement. Le problème, c’est qu’il y avait bien trop de candidats : les voix se sont éparpillées. C’est de notre faute. Mais c’est normal que la révolution fasse des fautes.

Le 2 mars 2011, au plus fort de la Révolution égyptienne, lors d’un débat télévisé sur On TV, vous aviez affronté Ahmed Chafik qui venait d’être nommé Premier ministre par un gouvernement Moubarak à l’agonie. Le lendemain, Chafik quittait le pouvoir. Pouvez-vous nous rappeler l’échange que vous aviez eu avec lui ?

Au cours de ce débat qui a duré environ 2h30, j’ai essayé de m’en tenir à ma ligne : me comporter comme n’importe quel citoyen à l’égard d’un ministre. Je suis toujours resté poli. A un moment donné, je lui ai demandé de parler des centaines de personnes blessées alors qu’il était encore Premier ministre [le 2 février, la répression des manifestations antigouvernementaux connue comme la bataille des chameaux avait fait au moins trois morts et des centaines de blessés]. Ça l’a énervé. Ensuite je lui ai dit que Moubarak était son maître. C’en était trop pour lui. Il a perdu son self contrôle et il crié : "Qui êtes vous ?" au lieu de "comment osez vous?", je suppose. Plutôt que de lui répondre que j’étais un écrivain égyptien très populaire, je lui ai répondu que j’étais un citoyen et qu’en tant que tel j’avais le droit de lui poser toutes les questions puiqu’en tant que ministre, il est censé œuvrer pour le peuple égyptien.
 
Quels scénarios envisagez-vous dans les jours à venir ?
 

Personnellement, je suis partisan d'un front anti–Chafik. Khaled Ali [militant d’extême gauche, candidat au premier tour de la présidentielle] m’a dit qu’il comptait organiser une conférence dans la semaine [mercredi 30 ou jeudi 31] avec tous les partisans d’une société séculaire. Les défenseurs de la Révolution doivent négocier et poser leurs conditions aux Frères musulmans pour que les idéaux de la révolution ne soient pas trahis et afin d’arriver à un accord pour soutenir le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi [depuis, lundi 28 mars, huit partis libéraux de gauche ont annoncé au contraire qu'ils ne comptaient soutenir ni Ahmed Chafik, ni Mohamed Morsi]. Ensemble, les islamistes et les partisans de la gauche pourraient vaincre Chafik. Un vrai révolutionnaire n’est pas quelqu’un de romantique. Il doit être pragmatique et se poser la question : que puis-je faire pour sauver la révolution ? Aujourd’hui si les Egyptiens ne font rien et restent chez eux, ce sont les suppôts de Moubarak qui resteront dans le pays. 


Et maintenant, une vidéo publiée dans Le Monde du 29 mai sur les protestations du peuple égyptien s'inquiétant de l'évolution de la révolution.

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